L'analyse sociologique des régulations économiques

Colloque thématique spécialisé

Vendredi 25 mai 2007, à Genève

Uni Mail, salle M3220

 

Responsables: prof. Sandro Cattacin et Emma Tieffenbach-Dayer, Université de Genève

 

Lors de cette journée d’école doctorale, nous analyserons les apports de la sociologie économique à la compréhension des dynamiques autorégulatrices du marché. Seront en particulier discutés le rôle des normes morales et sociales, ainsi que la relation entre globalisation, mouvements sociaux et légitimation de l’économie marchande. 

 

Programme de la journée:

9.15 - 10.30 Questionnement général de la journée

Emma Tieffenbach-Dayer : Introduction ­ normes sociales et comportement économique

 

11.00-12.30

Pierre Demeulenaere : Les normes de la vie économique et leur justification

12.30: Repas de midi 

 

14.15.-15.30

Manuel Mejido:  La lutte pour la société civile

 

15.45-16.45

Sandro Cattacin : La civilisation de l’économie

16.45-17.30 : discussion finale

 

Resumé des présentations:

 Emma Tieffenbach-Dayer : Introduction ­ normes sociales et comportement économique

Une défense de l'imperialisme sociologique (Elster, Anderson et Fehr)

version provisoire (234.9Ko, pdf)


 

Les sociologues de l'économie aiment mettre en évidence ce qu'il y a de non-économique dans l'économie. Transgressant la frontière qui sépare le monde économique, d'un côté, de la réalité sociale, politique et morale, de l'autre, ils vont chercher, par exemple, à cerner les effets (négatifs ou positifs) de l'essor des relations commerciales sur la personnalité, les valeurs ou la qualité des relations humaines. Ils vont, alternativement, montrer l'inventivité dont les individus font preuve dans leur capacité à utiliser leurs pratiques économiques pour signaler leurs valeurs, comme, par exemple, le degré d'attachement qui les lie à leurs enfants, leurs époux ou leurs voisins. Ils vont également déterrer les présupposés éthiques des analyses économiques en apparence les plus "pures". Ils vont, enfin, prouver que les agents économiques agissent en fonction de normes sociales et morales qui ne sont pas forcément en accord avec leurs intérêts matériels. De manière plus polémique, certains sociologues affirment qu'une explication des pratiques économiques qui négligerait ces diverses dimensions sociales, morales et politiques serait, au mieux, très insatisfaisante scientifiquement et, au pire, néfaste politiquement.

D'autres théoriciens résistent à cette conclusion, comme aux prémisses sur lesquelles elle est fondée. Ainsi, à ceux qui visent à déterrer les présupposés éthiques des analyses économiques, ils rétorquent que l'économie s'intéresse à l'efficacité de certains modes de redistribution des ressources et non au caractère juste ou injuste de la répartition finale. À ceux qui mettent en doute le modèle de l'Homo Economicus, ils répondent, par exemple, que le modèle adverse de l'Homo Sociologicus est, tout compte fait, réductible à celui qu'ils défendent.

Dans notre communication introductive, nous présenterons plus en détail les arguments des uns et des autres en nous fondant sur certaines contributions passées et récentes.

Références bibliographiques :

D. Hausman. and M. McPherson (2006). Economic Analysis, Moral Philosophy and Public Policy, Cambridge.

C. Bicchieri (2005). The Grammar of Society, Cambridge.

E. Anderson (2000). "Beyond Hoho Economicus, New Developments in Theories of social norms", in Philosophy and Public Affairs 29 (2).

E. A. Posner (2000). Law and Social Norms, Harvard, Cambridge.

J. Elster (1989). The Cement of Society, Cambridge [chapitre 6 : "Bargaining and social norms"].

J. Elster (1991). “Rationality and social norms”, European Journal of Sociology/Archives Europeennes de Sociologie, 32 (1), pp. 109-129.

M. Zafirovski (1999) "The ‘unbearable Lightness’ of the Economic Approach to Economic Behavior in the Social Setting : Rational Action and the Sociology of the Economy", Journal of the Theory of Social Behaviour, 29/3, pp. 301-333.

D. Kahneman, "A Psychological Perspective on Economics", The American Economic Review, Vol. 93/2, mai 2003, pp. 162-168.

E. Fehr, U. Fiscbacher (2002), "Why Social Preferences Matter…", in The Economic Journal, 112.

C. Camerer, R. Thaler (1995). "Anomalies, Ultimatums, Dictators and Manners", Journal of Economic Perspectives, Vol. 9/2, pp. 209-219.

Emma Tieffenbach est assistante de recherche au Fond National de la Recherche Scientifique depuis novembre 2005, dans le cadre d'une recherche de doctorat sur les "explications par la main invisible" sous la direction de K. Mulligan (département de philosophie, Genève). Licenciée en histoire générale en 1998 (Faculté des lettres, université de Genève), elle est assistante suppléante au département d'histoire générale (1998-1999) et obtient un DEA au Centre Politique Raymond Aron de l'EHESS (2000). Elle poursuit ensuite sa formation, en tant que "visiting scholar", au département de philosophie de Georgetown University (2001-2002) et de science politique de Columbia University (2002-2003).

Ses domaines de recherche sont l'histoire des idées, avec une prédilection pour le XVIIIe siècle et la pensée de Lumières écossaises, la philosophie des sciences, la philosophie des sciences sociales et politique.

 

Pierre Demeulenaere: Les normes de la vie économique et leur justification

demeulenaere_20070525 (105.9Ko, pdf)


L’apport central de la tradition sociologique quant à la description de la vie économique tient à la démonstration de l’encadrement de celle-ci par des normes. Celles-ci servent de point de référence aux institutions, aux pratiques mais aussi aux modes de justification présents dans cette vie: attribution de droits de propriété, légitimation de certains comportements, détermination de l’acceptabilité sociale de certains résultats du marché ou limitation de celui-ci. La question se pose alors de l’origine de ces normes, par-delà leur description. La conférence se proposera de montrer l’inadéquation des modèles économiques standard pour expliquer l’effectivité et la diversité de ces normes. Cette incapacité tient soit à ce que les concepts d’utilité mobilisés sont indéterminés, soit à ce que, lorsqu’ils sont spécifiés de manière plus étroite, ils ne permettent pas de rendre compte de la diversité normative effective. Il reste donc à la sociologie à proposer une explication qui tienne compte à la fois de la prévalence des comportements économiques et de l’origine sociale des limitations qui lui sont associées. Il s’agit alors de dépasser la simple référence à une contrainte sociale pour essayer de décrire l’origine de celles-ci, en termes notamment de justifications.

Pierre Demeulenaere est professeur de théorie sociologique à l’université de Paris-Sorbonne (Paris 4) où il a réalisé l’essentiel de ses études et de sa carrière universitaire. Ses recherches portent sur la question de la possibilité d’une explication sociologique des normes. Sur la base d’une distinction entre normes de rationalité (qui doivent être étudiées par delà l’usage de modèles sommaires et inadéquats de rationalité) et normes sociales, il essaie d’explorer les possibilités d’explication de la diversité des normes sociales sur la base d’une référence à des normes de rationalité qu’il s’agit de repréciser: comment rendre compte de la pluralité des comportements observables dans la vie sociale ? Il s’est spécifiquement appliqué à la description et à l’explication des normes de la vie économique mais aussi à celles des normes esthétiques et des sentiments qui leur sont reliés.

Ses principales publications sont :

(1996) Homo oeconomicus, Enquête sur la constitution d'un paradigme, Paris, P.U.F., collection « sociologies » Réédition collection « Quadrige », 2003

(1997) Histoire de la théorie sociologique, Paris, Hachette, collection "Les Fondamentaux"

(2001) Une théorie des sentiments esthétiques, Paris, Grasset, collection « Collège de Philosophie ».

(2003) Les normes sociales. Entre accords et désaccords, Paris, P.U.F, collection « sociologies ».

Il prépare actuellement un ouvrage sur les normes de la vie économique.

 

Manuel Mejido: La lutte pour la société civile

En prenant comme point de départ l’encastrement social de l’économie, la sociologie économique s’interroge sur la relation qui existe entre les normes sociales et l’action économique. Ce projet peut prendre la forme d’une sociologie du savoir économique, c’est-à-dire d’une enquête sur les conditions de possibilité et limites du paradigme de l’homo oeconomicus; ou il peut plutôt prendre la forme d’une sociologie de l’action ou de l’institution économique, c’est-à-dire d’une recherche sur la manière dont les réseaux sociaux structurent des pratiques économiques.

En abandonnant la neutralité axiologique, formant une sorte de dialectique entre ces deux approches, la sociologie économique peut aussi contribuer à la théorie critique de la société. Elle peut, par exemple, critiquer la naturalisation ou autorégulation du marché; l’éclipse de l’homo sociologicus par la Nouvelle économie institutionnelle; l’idée du capitalisme comme une théorie de la liberté; la réduction du problème de l’intégration sociale à la logique du marché, etc.

Inscrit dans ce cadre critique, nous proposons d’analyser la société civile comme instance de production des normes de régulation de la globalisation économique. Nous allons d’abord présenter une typologie des groupes de la société civile pour mettre en évidence les différents logiques et pratiques de régulation économique qui existe dans ce champ social. Et puis, d’une perspective agonistique, nous allons analyser ce qu’on appelle « la lutte pour la société civile », c’est-à-dire la lutte pour contrôler les limites, la structure et la constitution même de cet espace social, en effet, la rivalité pour contrôler les modes de production des normes de régulation économique. Les antagonistes de cette lutte sont les différents types des groupes de la société civile (les ONGs, les mouvements sociaux, etc.) et aussi les acteurs du secteur privé (les sociétés multinationales), les divers organismes internationaux (OMC, ONU, etc.) et les Etats.

Bibliographie

Arquilla, John et David Ronfeldt. The Emergence of Noopolitik: Toward An American Information Strategy. Santa Monica, CA: RAND, 1999.

Bendaña, Alejandro. NGOs and Social Movements: A North/South Divide? Geneva: UNRISD, 2006.

Deleuze, Gilles et Félix Guattari. Capitalisme et schizophrénie, II: Mille plateaux. Paris: Les éditions de minuit, 1980.

Demeulenaere, Pierre. Homo oeconomicus: Enquête sur la constitution d’un paradigme. Paris: Presses Universitaires de France, 1996.

DiMaggio, Paul J. et Walter W. Powell. “The Iron Cage Revisited: Institutional Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields.” American Sociological Review 48, 2 (avril, 1983): 147-160.

Granovetter, Mark. “Economic Action and Social Structure: The Problem of Embeddedness.” American Journal of Sociology. 91:3 (1985): 481–510.

Nye, Joseph. Soft Power: the Means to Success in World Politics (New York: Public Affairs, 2004).

Rischard, Jean-François. High Noon. New York: Basic Books, 2002.

Ronfeldt, David. Tribes, Institutions, Markets, Networks: A Framework About Societal Evolution. Santa Monica, CA: RAND, 1996.

Tarrow, Sidney. “Global Movements, Complex Internationalism, and North-South Inequality.” Texte préparer pour l’atelier Contentious Politics, Université de Columbia, 27 octobre 2003.

Williamson, Oliver. Markets and Hierarchies. New York: Free Press, 1975.

Manuel Mejido Costoya est professeur suppléant au Département de sociologie de l'Université de Genève et consultant pour l'Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social (UNRISD).

 

Délai d'inscription: 11/5/7