Méthodes, Outils, Pratiques de chercheur : étudier les liens entre Risques, Technologie et Organisation

Colloque thématique spécialisé

Vendredi 14 décembre 2007, Genève, Uni Mail, M 1170

Organisation : Mathilde Bourrier, Département de Sociologie, Université de Genève  

En collaboration avec le Programme Doctoral Romand en Géographie

 

1. Argumentaire 

Il s’agit d’une séance méthodologique, dans le sens où chaque intervenant est encouragé à aborder son travail sous l’angle de sa pratique et de sa méthode.

Chaque invité représente une forme d’engagement différente sur le terrain (psychologique, pour Gudela Grote, socio-anthropologique pour Caroline Moricot, plus conceptuelle et autour des théories de la décision pour Hervé Laroche, et sociologique pour Cynthia Colmellere), qui conduit à privilégier certains angles plutôt que d’autres dans l’élucidation des liens entre Technologie, Risques et Organisation. C’est à ce dialogue de points de vue que je souhaite convier le public de doctorants intéressé.

En préambule, je voudrais souligner que l’association de ces trois notions présente des questions méthodologiques d’importance, à la fois d’ordre pratique et d’ordre plus théorique.

Ainsi, la question des « entrées » sur le terrain, qui concerne aussi bien les autorisations administratives, que les habilitations physiques (entrée en « zone contrôlée » par exemple, ou sur les bases de l’armée de l’air), ou les attendus de la mission des chercheurs (chez les militaires ou dans une usine à haut risque) comporte de multiples obstacles que les intervenants ne manqueront pas d’aborder. Loin de proposer un kit normatif de l’entrée « réussie », les expériences des chercheurs conviés invitent plutôt à une réflexion sur la contingence des situations de recherche et sur la renégociation permanente des positions réciproques entre chercheurs et observés, chercheurs et institutions.

Sur un plan plus théorique, on peut dire en forme de pirouette que si une littérature et une tradition de travaux existent pour chacun des thèmes pris deux à deux (Organisation et Risques, Organisation et Technologie, Technologie et Risques), la conjonction des trois représente encore une frontière de la recherche dans ces domaines. C’est la raison pour laquelle, il nous a semblé judicieux de convier plusieurs regards sur cette question, afin d’initier les doctorants au croisement des perspectives (ce que j’entends par « frontière de la recherche » dans ce cadre en particulier fera l’objet d’une brève introduction par M. Bourrier au commencement de la journée).

 

2. Modalités d’organisation :

Quatre interventions sont prévues.

Chacune sera commentée par soit des étudiants en thèse du programme romand (qu’il faut encore identifier), soit des étudiants en master de sociologie de Genève (prévenus et déjà très volontaires).

Il n’a pas été demandé aux intervenants un papier spécifique pour cette journée, mais les références fournies, serviront de base aux commentaires des discutants.

Chaque intervenant dispose de 40 minutes de présentation.

Le ou la discutant-e de 10 minutes.

Les participants à la journée auront également bien évidemment la parole, durant les dernières 25 minutes.

 

3. Programme

 

8h45-9h00 : Accueil (Café)

9h00 - 9h30 : Introduction du thème (Mathilde Bourrier, Université de Genève)

9h30-10h45 : Caroline Moricot, Maître de Conférence, Université de Paris 1,

« Corps, Technique et Société, la présence corporelle des humains dans les mondes automatisés »

(Discutante : Séverine Alary, étudiante en master de sociologie)

10h45-11h00 : Pause café

11h00-12h15 : Cynthia Colmellere, Doctorante, Université de Technologie de Compiègne

« Analyser la construction des relations entre technologie et organisation, un point de départ pour comprendre la production des risques »

(Discutant : Sami Coll, assistant, Université de Genève)

12h30-14h00 : Déjeuner

14h00-15h15 : Hervé Laroche, Professeur, Ecole Supérieure de Commerce de Paris

« L’approche par les processus décisionnels : Apports et limites »

(Discutant : Frédéric Minner, étudiant en master de Sociologie)

15h15-16h30 : Gudela Grote, Professeur, Institut Fédéral Suisse de Technologie, Zürich

« Can description create change ? »

(Discutante : Mathilde Bourrier)

16h30 : Café

16h45-17h15 : Synthèse

 

 

4. Résumés des interventions et références bibliographiques :

1. Caroline Moricot « CORPS, TECHNIQUE ET SOCIÉTÉ : La présence corporelle des humains dans les mondes automatisés »

Maître de Conférence en Sociologie, Université de Paris I - Sorbonne, membre de l’équipe du CETCOPRA

Quelle est la place des hommes dans les dispositifs techniques automatisés ? Cette question (ancienne mais toujours réactualisée par la mise en place de nouveaux systèmes) renvoie à celle de la définition de l’humain dans ces mondes — les plus nombreux — où les automates se substituent souvent à l’activité des hommes, mais ne savent pas se priver de leur présence, moins pour fonctionner, mais pour que leur fonctionnement ait un sens.

L’avion appartient à cette classe d’objets définis à la fois par un haut niveau d’automatisation et par la présence exigée d’opérateurs hautement qualifiés. Les pilotes surveillent les systèmes, les contextualisent, ils récupèrent nombre de situations déviantes, bref, ils adaptent en temps réel un scénario « idéal » qui se déroule sur les écrans du cockpit. Au fond, ce que le processus d’automatisation tend à évincer, c’est le corps de l’homme. Sa présence intellectuelle continue d’être requise tandis que son corps est de plus en plus contraint à l’immobilité. Pourtant, à moins de télépathie (cf. le projet cybernéticien de Wiener) ou de téléguidage, mais s’agit-il encore de « présence », on ne peut être là sans son corps.

L’être humain est donc présent « malgré tout » : il se trouve au cœur d’une tension, qu’il lui revient de gérer, entre une tendance de l’automatisation qui vise à l’écarter et une gestion quotidienne des systèmes qui, dans le même temps, rend sa présence irréductible. Ce paradoxe de l’automatisation participe de la définition des humains dans ces grands systèmes techniques. L’homme est un être cognitif (et la littérature psychologique a beaucoup produit sur ce thème), mais il est aussi un être de chair, il est aussi un corps. Il me semble que l’on « oublie » de penser cette dimension (on l’a laissée aux ergonomes qui eux-mêmes la considère comme la part la moins intéressante ou valorisante de leur métier. Que dit l’anthropologue de cet oubli du corps ? N’est-il pas à mettre en relation avec une forme nouvelle d’oubli de la technique —l’avion naturel— ?).

C’est par le biais de leur présence charnelle, que je voudrais interroger les manières de faire des hommes aux prises avec les automatismes. Comment se servent-ils de leur corps ? Comment ce « savoir » a-t-il été acquis? Quelle est la visibilité du corps dans ce milieu socio-technique ? Le corps est-il contraint et de quelle nature est cette contrainte ? Souffre-t-il ? Ressent-il du plaisir ? Peut-il être question d’une économie du corps (user de son corps sans l’user) ? Ces quelques questions, et d’autres, pourraient servir de point de départ à une description, puis à une compréhension plus fine de ce qui semble caractériser aujourd’hui ces situations de travail, à savoir un brouillage des frontières corporelles et donc une redéfinition du corps à corps avec la machine par le biais de nouvelles médiations. L’homme se représente désormais sa place dans une continuité matérielle (et plus seulement symbolique) avec la machine. Cette continuité entre les êtres et les choses ne renvoie pas à un modèle de classification familier de notre société. Comment sommes nous conceptuellement et méthodologiquement outillés pour en rendre compte ? Quels détours anthropologiques ou historiques faut-il envisager ? Comment la figure du cyborg, la notion de corps augmenté ou encore celle de post-humain nous permettent-elles de penser cette question de la continuité entre les êtres et les choses (ou au contraire de ne pas la penser) ?

Caroline Moricot est spécialiste de la question de l’appropriation dans les univers hautement technologiques.

Elle abordera en particulier les méthodes socio-anthropologiques, leurs possibilités comme leurs limites dans ces univers.

Quelques références de Caroline Moricot :

Caroline Moricot et Gérard Dubey, La polyvalence du Rafale ou l’objet total. La relation entre une technologie nouvelle et ses utilisateurs, Les documents du CESSD, n°81, 2006.

Caroline Moricot, « L’irréductible engagement du corps. Le cas du pilotage des avions automatisés », A paraître en 2007 in Revue Communication.

Caroline Moricot, “L’engagement du corps et des sens dans le pilotage en ligne d’un avion à cockpit de verre”, in revue Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé (PISTES), www.unites.uqam.ca/pistes, Montréal, n°2, avril 2000.

Caroline Moricot, Des avions et des hommes. Socio-Anthropologie des pilotes de ligne face à l’automatisation des avions, Thèse de doctorat de sociologie, Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, Presses Universitaires du Septentrion, 1997.

 

2. Cynthia Colmellere « Analyser la construction des relations entre technologie et organisation: un point de départ pour comprendre la production des risques. »

Doctorante en Sociologie de l’Université de Technologie de Compiègne, Chercheur au sein de l’Institut de Protection de Sûreté Nucléaire, à la Section d’Etudes des Facteurs Humains, France.

La thèse de Cynthia COLMELLERE aborde la fiabilité des systèmes socio-techniques à risques sous l’angle de sa construction, au cours de projets de modifications d’installation. L’analyse rétrospective de grands accidents technologiques et l’étude du fonctionnement quotidien des systèmes socio-techniques à risques ont mis en évidence les fondements structurels et sociaux de la fiabilité. Ces recherches ont démontré les liens étroits entre technologie et organisation du travail tout en soulignant l’importance des choix technologiques et organisationnels pour obtenir la fiabilité. Elles n’abordent pas les pratiques qui mènent à ces choix, mais soulèvent deux questions fondamentales, au centre de ce travail de thèse. Premièrement, comprendre la construction des relations entre technologie et organisation au cours du travail de conception. Pour cela, il s’agit d’appréhender l’influence des choix technologiques sur les activités futures et leur organisation et réciproquement, de préciser la manière dont l’anticipation des activités futures et de leur organisation modèle les dispositifs technologiques retenus. Deuxièmement, appréhender le processus de conception afin de préciser les pratiques des acteurs de ces projets de conception. Il s’agit de comprendre le processus de conception comme une construction sociale dynamique et contingente.

Cette problématique sera traitée à partir de la comparaison de deux recherches doctorales, menées sur un site de la chimie pharmaceutique et un site de la chimie organique. La méthode d’enquête utilisée mobilise des entretiens, des observations de réunions de travail et des observations non participantes sur site. Elle analyse également les supports utilisés et conçus par les acteurs des projets.

Quelques références de Cynthia Colmellere :

Cynthia Colmellere (2004). Risques, technologie, organisation : variations sur le thème d’un projet de conception. Le cas d’un poste de dépotage d’acide fluorhydrique. Communication présentée au Congrès d’Ergonomie de langue française, Genève, 15-17 septembre.

Cynthia Colmellere (2004). Concevoir des installations à risques : le double défi organisationnel. Communication présentée aux 16émes Journées Scientifiques de la Société d’Ecologie Humaine, Bordeaux, 1er-3 décembre.

 

3. Hervé Laroche « L’approche par les processus décisionnels : apports et limites »

Professeur de Stratégie et d’Organization Behavior, Ecole Supérieure de Commerce de Paris (ESCP-EAP)

L’étude des processus de décision dans les organisations est un courant classique qui a produit une masse considérable de travaux. Ceux-ci ont été relativement peu mobilisés sur les problématiques de risques, alors qu’ils ont un potentiel important. Cependant d’autres approches (autour du sensemaking chez Karl Weick ou des pratiques) ont débordé la perspective décisionnelle, jusqu’à remettre en question la notion même de décision. Il s’agira donc, dans une perspective « utilitaire », de faire l’inventaire des outils conceptuels disponibles et d’estimer leur intérêt pour aborder la problématique des liens entre « Risques, Technologie et Organisation ».

Hervé Laroche est spécialiste de l’étude des décisions dans les organisations et grand connaisseur des théories sur lesquelles il est utile de construire des perspectives modernes.

Quelques références aux travaux d’Hervé Laroche:

Hervé Laroche, "Overmanagement and moral consciousness", in Garsten, C. & Hernes, T., Understanding ethical dilemmas in management, Routledge (forthcoming)

Hervé Laroche, "The Power of Moderation", MIT Sloan Management Review, Fall 2004, Vol. 46, N° 1, p. 19-21.

Hervé Laroche, "Mann Gulch, l'organisation et la nature fantastique de la réalité", in Le sens de l'action : K.E. Weick et la sociopsychologie de l'organisation, Vidaillet, B. (ed.), Paris, Vuibert, Série Institut Vital Roux, 2003, p. 51-86.

Hervé Laroche, "Le manager en action : les jugements et l'attention", in Perspectives en Management Stratégique, Desreumaux, A., Marchesnay, M. & F. Palpacuer (eds.), Tome VII, Paris, EMS, 2001.

Hervé Laroche, "Les approches cognitives de la stratégie", in Stratégies : actualité et futurs de la recherche, Martinet, A. C. & R. A. Thiétart (eds.), Vuibert, 2001, p. 101-114.

Hervé Laroche, "Les figures de la décision dans les organisations", Économies et Sociétés, Sciences de Gestion, tome XXXII, N° 8-9, 1998.

Hervé Laroche, "'From Decision to Action in Organizations: Decision-Making as a Social Representation", Organization Science, Vol. 6, N° 1, 1995.

 

4. Gudela Grote “Can description create change?”

Professeur de Psychologie Industrielle à l’institut fédéral suisse de technologie, Zürich.

Gudela Grote s’exprimera en anglais.

Social scientists are very apt in describing phenomena, sometimes they manage to also provide fairly sound explanations for these phenomena. If the final objective is social change, though, we have not achieved all that much, given for instance, the resurgence of tayloristic management principles or automation aimed at excluding the human as risk factor from the "loop". Based on some examples from own studies, possibilities and requirements for social change through social research are discussed.

Gudela Grote has published a number of books and articles on the management of uncertainty, focussing especially on safety management, automation and organizational planning, but also on human resource management issues such as increasingly insecure employment relationships :

Grote, G. (in Druck). Psychologischer Vertrag als Führungsinstrument im Umgang mit Unsicherheit, In R. Wieland (Hrsg.), Gesund in die Zukunft – Moderne IT-Arbeitswelt gestalten.

Grote, G. (in press). Understanding and assessing safety culture through the lens of organizational management of uncertainty. In M. Baram & M. Ströbel (Eds.), Safety culture and behavioral change at the workplace. Pergamon.

Günter, H. & Grote, G. (2006). Redefining task interdependence in the context of supply networks, Proceedings of the 13th European Conference on Cognitive Ergonomics (ECCE), Zurich, September 20-22.

Günter, H. & Grote, G. (July, 2006). Success factors of collaborative planning in supply networks, Proceedings of the 16th

Grote, G. (2004). Uncertainty management at the core of system design. Annual Reviews in Control, 28, 267-274.

 

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