Information détaillée concernant le cours

[ Retour ]
Titre

Oh le beau cas! Epistémologie des terrains difficiles

Dates

8 au 9 octobre 2015

Organisateur(s)/trice(s)

L. Kaufmann (UNIL), F. Hainard (UNINE), F. Malbois (UNIL)

Intervenant-e-s

C. Rémy (CNRS), I. Soysüren (avocat et chercheur indépendant), J. Stavo-Debauge (UNIL), Y. Pedrazzini (EPFL)

Description

Présentation

« Oh, le beau cas ! »… « Quel magnifique terrain! » : ces exclamations de surprise et de curiosité sont celles que tout chercheur profère quand il fait face à une singularité qui fait « cas ». Un cas qui se présente généralement sous la forme d’un nom propre, c’est-à-dire comme le cas de la Grèce, de DSK, de Greenpeace, du peuple Rio Xinane d’Amazonie par exemple, et qui s’insère invariablement dans l’unicité d’un contexte qu’il ne parvient jamais à épuiser. Pourquoi alors s’y intéresser ? Ce qui distingue une situation dont on fait grand cas de celle qui ne parvient pas à capter le regard, c’est précisément son caractère dérangeant, singulier, particulier. Le cas marque ainsi l’irruption de ce qui fait exception, de ce qui semble anormal ou encore aberrant, bref, de ce qui semble échapper à toute explication mais qui, pourtant, la demande instamment. Source d’émerveillement ou de fascination, l’enquête que le cas appelle et rend même nécessaire se situe au carrefour de plusieurs enjeux : comment restituer toute la complexité d’un cas alors même qu’on ne saurait en produire une description définitive ? Comment tout à la fois préserver le caractère contextuel du cas et produire, à partir de son examen détaillé, un raisonnement et une formalisation qui excèdent le local et le particulier ? A quel(s) titre(s) peut-on prétendre, à partir de l’analyse de cas, voire de la comparaison de plusieurs cas, proposer un ensemble de connaissances valides sur le monde social ?

Que les cas choisis soient paradigmatiques (Le paysan polonais, dont William  I. Thomas et Florian Znaniecki de la première École de Chicago ont dressé le portrait, est emblématique du phénomène migratoire aux États-Unis au début du 20e siècle), ou qu’ils soient des cas-limites (Menocchio, le personnage central de Le fromage et les vers du micro-historien Carlo Ginzburg, n’est pas un meunier frioulan comme les autres), « penser par cas » est un défi épistémologique central pour les sciences sociales : à quelles conditions et selon quels critères, en effet, un cas singulier peut-il ouvrir la voie à la généralisation ? En partant de cette question fondamentale, ce séminaire résidentiel se penchera en particulier sur les cas sensibles que constituent les terrains « difficiles ». Certains terrains sont en effet difficiles, du point de vue moral et émotionnel aussi bien que du point de vue méthodologique, car ils impliquent des populations particulièrement vulnérables: réfugiés, requérants délinquants, personnes dans le coma ou invalides, travailleurs au noir, prisonniers, soldats ou  habitants de favellas, autant de personnes dont l’observation implique une réflexion éthique et politique. Par-delà leurs différences, tous ces terrains soulèvent le problème épineux de la posture de l’enquêteur qui, dans de telles conditions, ne peut guère se contenter du statut désengagé sinon indifférent de l’observateur. De tels terrains réclament ainsi l’ajustement de la relation d’enquête, une relation qui se noue parfois dans la méfiance et qui peut rarement se permettre de faire l’impasse sur « un tiers intrus », notamment les instances institutionnelles (agents des politiques publiques, organisations humanitaires ou caritatives, ONG, etc.) qui sont en charge de traiter les populations concernées. Si ces questions se posent à tout-e chercheur-e en sciences sociales, elles ressortent de manière particulièrement révélatrice dans les cas extrêmes que nous aurons à cœur de traiter.

 

Références principales 

BOUILLON Florence, FRESIA Marion, TALLIO Virginie (dir.) 2005. Terrains sensibles. Expériences actuelles de l’anthropologie. Paris : CEA-EHESS.

DODIER, Nicolas & Isabelle BASZANGER. 1997. «Totalisation et altérité dans l’enquête Ethnographique». Revue française de sociologie 38(1): 37–66.

GINZBURG, Carlo. 1980. Le fromage et les vers. L’univers d’un meunier du XVIe siècle. Paris: Aubier.

KATZ, Jack. 2010. «Du comment au pourquoi. Description lumineuse et inférence causale en ethnographie». In D. Céfaï et al. (dir.) L’engagement ethnographique. Paris: EHESS, pp. 43–105.

PASSERON, Jean-Claude, REVEL Jacques (dir.) 1995. Penser par cas. Paris: EHESS.

Lieu

Hôtel de la Fleur de Lys à la Chaux-de-Fonds

Information

Liste des interventions du séminaire

 

Yves Pedrazzini «Gangsters, travellers, skaters, réfugiés et autres outsiders : mener l’enquête sur les bas-côtés de la ville contemporaine»

 

La sociologie développe depuis un siècle des méthodes plus ou moins validées comme scientifiques. Mais celles-ci ont-elles la moindre utilité quand le sociologue, comme l’ethnologue, choisit de mener des enquêtes qualitatives et des observations participantes? Surtout, quand son terrain est la grande ville contemporaine et ses thèmes privilégiés la violence de cette ville, celle du processus d’urbanisation lui-même, mais aussi celle de ses outsiders, bandits, punks, travellers et autres réfugiés résistant à leur effacement programmé par l’urbanisme moderne, existe-t-il une méthodologie qui puisse faire autre chose que de renforcer la mise à l’écart des outsiders, et la violence, au moins symbolique, de la ville ? Par ailleurs, toute méthode étant toujours plus ou moins à construire « en direct », résultant d’un bricolage DIY dont on décide des modalités au moment où les évènements et les « faits sociaux » que nous étudions l’exigent, comment se préparer quand même à analyser le réel difficile des « outsides » urbains ? Voilà certaines des choses que j’évoquerai.

 

 

 

 

Catherine Rémy «Enquêter sur ceux qui donnent la mort aux animaux. Jeux de places et de regards»

 

Dans cette intervention, je souhaite évoquer les enquêtes ethnographiques que j’ai menées sur l’activité de mise à mort des animaux (dans des abattoirs, des laboratoires d’expérimentation…). Si pendant longtemps cette activité a été réalisée au grand jour, elle a progressivement disparu de l’espace public. Je chercherai à montrer que cette occultation - qui rend la présence de l’ethnographe problématique - a des effets in situ visibles et descriptibles au cours de l’action en train de se faire mais aussi à travers la relation qui se noue entre l’ethnographe et les enquêtés. Comment observe-t-on une activité cachée? À quels jeux de places et de regards l’enquête donne-t-elle lieu? Que nous apprennent-ils sur l’expérience des acteurs?

 

 

 

 

Ibrahim Soysüren  «Le chercheur à l’épreuve de l’« étiquetage » : quelles incidences sur la recherche?»

 

Dans le cadre de ma thèse de doctorat, j’ai travaillé sur l’expulsion des étrangers délinquants et des sans-papiers en Suisse, en France et en Turquie. Il s’agissait des terrains de recherches difficiles et parfois très peu « défrichés » où il a fallu m’entretenir avec des populations très différentes les unes des autres, à savoirs des délinquants, des sans-papiers, des représentants associatifs, des avocats, des policiers ainsi que des responsables administratifs.

 

Pour le séminaire CUSO, sur la base de cette expérience, je vais aborder quelques situations significatives vécues dans mes différents terrains d’étude avec ces différents types d’acteurs. Ensuite, je vais soulever la question des « étiquettes » que ces interviewé(e)s nous collent et les raisons qui pourraient être à l’origine. Enfin, je vais fournir des éléments de réponses à la question de l’influence de cet « étiquetage » sur les données recueillies.

 

Mon questionnement sera donc le suivant : dans ces contextes très particuliers et souvent risqués pour ceux qui prennent la parole, quels regards et attentes portent les personnes interviewées sur le/la chercheur/euse ? Quels jugements, quels aprioris, quelles étiquettes collent-ils/elles aux chercheurs ? Quelles incidences ces comportements et attitudes peuvent-ils avoir sur le déroulement de la recherche et la qualité de l’information recueillie?

 

 

 

 

Joan Stavo-Debauge «L’oubli de ce dont c’est le cas: deux exemples d’une critique sociologique de discours philosophique»

 

«L’oubli de ce dont c’est le cas» est une façon de revenir sur un certain oubli de l’histoire que commettent certains cadres théoriques, notamment philosophiques. Mon intervention consistera ainsi en une critique sociologique de deux discours philosophiques, les discours sur le post-séculier et les discours de Derrida sur l’hospitalité. Il s’agirait de montrer que ces discours, très dissemblables, font problème en raison d’un oubli, du côté de leur réception, de ce dont ils sont au départ le cas. Le point plus général consistera alors à montrer que la sociologie permet de mieux comprendre (et de mieux critiquer) la philosophie en ramenant au premier plan des circonstances sociales et des contextes politiques dont la philosophie se sépare trop vite, au point de perdre de vue ce dont il est question et de mettre en circulation des schèmes et des réponses inappropriés.   

 

 

 

Places

25

Délai d'inscription 01.10.2015
short-url short URL

short-url URL onepage